Echéance

Paris, 13è arrondissement, juillet 2009

L'univers des HLM est peuplé d'habitants sans mémoire. La première semaine du mois passée, quand le salaire se fait attendre et que les allocations ont du retard, ils oublient de payer leur loyer. Heureusement, une affichette scotchée à la porte vitée est là pour rappeler la date d'échéance à tous ces insouciants. Chaque fois qu'ils entrent ou sortent de l'immeuble, les lettres violettes leur sautent au visage, comme le souvenir d'un mauvais rêve ressurgissant par bribes au creux de la journée.
Mise à part la sommation à l'impératif, les rédacteurs de l'affichette ne semblent pas accorder d'importance au soin de formuler des phrases. Un titre, des dates, un lieu et le logo du bailleur en guise de signature suffisent à produire un effet. Pour ne pas lasser les habitants et risquer de passer du côté du décor, les couleurs de l'affichette changent tous les mois : mars vert, avril jaune, mai rose, toujours dans les tons pastels pour soulager la douloureuse. La saillance est finement orchestrée pour sortir les chèques de l'ombre.

C'est l'été. Les gamins écoutent du rap à fond les platines toutes fenêtres ouvertes, les mères arrosent sur le balcon les plantes souffrant du soleil cuisant de midi, les pères jettent leurs bouteilles de bière dans les vides-ordures. La vie, quoi... Mais non. Ces petits actes anondins sont désignés par d'autres affichettes (à dominante rouge, cette fois), comme des incivilités.
Eh oui, gamin ! Tu crois peut-être que tout le monde aime Puff Daddy et 2Pac ? Et Madame Michu, voyons, voyons ! Vous n'êtes pas obligée d'asperger le brushing de Madame Poulet en arrosant vos fleurs ! Quand au père Lantier, s'il pouvait arrêter son tapage diurne après la binouze de 18 heures, tout le monde y trouverait son compte.
Là encore, pas de phrase. Des dessins plus ou moins heureux et des formules lapidaires. "Respect pour les voisins", annonce l'affichette. "Indispensable pour votre confort et votre sécurité", ajoute-t-elle. Nos sémillants rédacteurs en appellent aux principes d'un bien commun moderne que l'on destine au peuple oublieux des HLM. Si nous étions au début du XXè siècle, l'affichette aurait certainement promu l'hygiène et la salubrité. Ultime forme d'innovation dans la communication entre les bailleurs et les habitants, l'appartion du "smiley" pour adoucir les moeurs. Les temps changent, les écrits exposés s'adaptent.


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