#Ouiaumasque : pour une réflexion collective et solidaire dans les lieux de sociabilité

Avec la levée (électoraliste) du port du masque dans les espaces clos, la société française change de ton, et je n’aime pas sa petite musique.

A partir du 14 mars 2022, le port du masque ne sera plus obligatoire en lieux clos (sauf transports collectifs et établissements de santé).

Pourtant, garder son masque en intérieur permettrait de signifier à toutes les personnes qui risquent gros avec le Covid (personnes immunodéprimées, transplantées, dialysées, en rémission de certains cancers…) qu'elles sont les bienvenues dans ces lieux de sociabilité, qu'elles seront protégées par un geste simple et solidaire effectué par tous. Je ne parle pas ici des restaurants et bars, où de toute façon on enlève son masque, mais bien des cinémas, bibliothèques, théâtres, salles de réunions…

« Ces personnes n’ont qu’à porter un FFP2 », me répond-on souvent : le masque FFP2 protège effectivement mieux la personne qui le porte qu’un masque chirurgical, mais pas entièrement. Le Covid se transmet principalement par aérosols, il se trouve à l’intérieur des très petites gouttelettes que l’on émet quand on respire. Masques et ventilation sont donc la clé, et les masques doivent être portés par tous pour limiter l’émanation de ces particules qui peuvent rester en suspension plusieurs heures dans une pièce mal ventilée.

Tomber le masque dans les espaces clos (et encore une fois, j’exclus les lieux où l’on consomme boissons et nourriture) c’est dire aux personnes vulnérables : je m’en fiche que tu ne puisses pas vivre à mes côtés.

Et pour les lieux accueillant du public, qui ont une obligation d’accessibilité, se dire « ouvert à tous » et ne pas demander le port du masque en intérieur est une contradiction : ouvert à tous, sauf aux personnes vulnérables face au Covid.

« Et avec le Pass sanitaire, c’était pareil, certains lieux publics n’étaient pas ouverts à tous… » Oui, c’était pareil : le Pass sanitaire était un outil politique, qui a relativement bien fonctionné pour forcer la main à certaines personnes hésitant à se faire vacciner, mais qui s’est avéré casse-gueule sur le plan sanitaire, sachant que le vaccin n’annulait pas les risques de transmission.

Mais si certains lieux publics se sont montrés opposés au Pass sanitaire, je ne les vois plus aujourd’hui appeler à cette ouverture à tous, qui comporte une petite condition, un petit inconfort, le port d’un masque par chacune des personnes fréquentant le lieu.

« Mais je n’en peux plus du masque, je le porte au travail, je le porte dans les transports, pour mes loisirs je n’en veux plus ! » Je comprends bien ce ras-le-bol, vraiment. Je gère moi-même un lieu collectif, un espace de travail partagé, et ces questions sont présentes. Nous sommes au quotidien très peu nombreux (entre 2 et 4 personnes) sur 68 mètres carrés, et nous avons décidé de ne plus porter de masque, car aucun d’entre nous n’est a priori vulnérable face au Covid. Par contre dès que la salle de réunion est louée, qu’un public extérieur est prévu, nous portons le masque. Et j’aère énormément (toutes les heures) même en plein hiver, nous avons d’immenses et belles fenêtres donnant sur la campagne.

Reste cette question en suspens : le Covid long. Entre 250 000 et 300 000 personnes en France souffrent de symptômes persistants et invalidants, six mois après leur contamination. Les facteurs de risque ne sont pas encore tous connus, mais le Covid long élargit le champ des personnes que le SarsCov-2 peut sacrément embêter. L’autogestion sanitaire que nous avons conçue dans mon espace de travail partagé ne prémunit pas mes camarades d’être infectés et de développer une forme persistante, même si la vaccination en divise par deux le risque. Chacun d'entre nous en a conscience, mais je n’aimerais pas que mon espace en soit à l’origine. Toutefois, nous avons pu trouver un compromis, car nous sommes au quotidien peu nombreux : dans un établissement recevant un grand nombre de personnes, ce type d’autogestion serait inapplicable.

« Mais si tu as peur, tu n’as qu’à le porter ton masque. » Voilà une phrase que l’on me balance et qui me met hors de moi, ces derniers temps. Déjà parce que ce n’est pas « mon » masque. Le masque n’est pas un doudou, mais un équipement de protection principalement à destination des autres. La propension à psychologiser ceux qui souhaiteraient une prise en compte des personnes vulnérables ne sert finalement qu’un but, se mariant parfaitement avec le libéralisme : éviter la mise en œuvre d'investissements collectifs pour la qualité de l’air. Au-delà même du Covid, cette pandémie nous rappelle que comme l’eau, l’air est un bien collectif précieux. « Nous nous attendons à avoir de l’eau propre au robinet, et des aliments propres et sûrs au supermarché. De la même manière, nous devrions pouvoir compter sur un air propre dans nos bâtiments et dans tous les espaces partagés » énonce Lidia Morawska, physicienne, dans une tribune publiée dans le New-York Times le 13 mai 2021.

Alors oui, j’ai peur. J’ai peur que l’individualisme l’emporte. J’ai peur que ce soit déjà le cas, quand je vais dans les salles de spectacle ces derniers jours : lorsqu’aucun message ne signale en début de séance que le masque reste recommandé, lorsque nous sommes 5 à porter un masque dans une salle de 150 personnes, lorsque d’autres spectateurs vocifèrent dans mon dos « C’est plus obligatoire ! Les gens ont peur ! Et tu crois qu’ils le portent sous la couette ? » Oui, j’ai peur de cette petite musique excluante.