Roman-photo du juste après
L'histoire commence un jeudi d'octobre, à 6 heures. Le jour n'est pas encore levé sur l'automne parisien alors que j'achève l'ultime relecture de mon manuscrit de thèse — la relecture grammaticale, avec un logiciel adapté : traquer les fautes apparaissant en vert, vérifier, corriger. Je suis fatiguée après cette troisième nuit blanche de la semaine, il restera sûrement des coquilles, tant pis, il faut finir. J'ai rendez-vous à 9 heures chez l'imprimeur, je n'aurai pas le temps de dormir, un thé à l'huile essentielle de cannelle m'aidera à tenir. Devant les yeux, ma "To do list" entièrement cochée. "Intégration carto" : fait. Cahier photographique : fait. Liste des entretiens en annexe : fait. Mon document \LaTeX n'attend plus que moi. J'appuie sur "Composer", le compilateur se met en route et délivre un PDF. Je grave deux CD — l'un pour l'imprimeur, l'autre pour ma directrice de thèse. Je glisse les PDF sur ma clé USB, on ne sait jamais, c'est fragile, ces bêtes-là.
9 heures, je passe la porte de l'imprimeur. On s'installe sur un ordinateur, il ausculte le PDF :
"- L'imprimeur : Il y a des numéros de page sur les pages blanches, ça ne se fait pas, on va les enlever.
- Moi : J'ai écrit avec LaTeX, il aurait dû prendre cette norme en compte, logiquement...
- Ah, vous avez utilisé LaTeX ? C'est super, ça fait du beau boulot.
- Oui, ça demande quand même de s'y mettre un peu, il y a des lignes de code et tout.
- C'est le meilleur outil pour composer un texte. Word, c'est vraiment pour les neuneus, ça fait des trucs dégueulasses. [Il calcule les marges] Ah, c'est sûr, ça c'est du LaTeX, y'a aucun problème, c'est nickel. Bon allez, on lance tout ça. "
"Tout ça", c'est six ans de ma vie. Alors je suis contente qu'il s'en occupe ainsi, avec tout son savoir et sa dextérité. C'est tellement rapide que je n'ai pas le temps de prendre de photos. Les feuilles sortent de l'imprimante à vitesse grand V. La couverture et la quatrième de couv' sortent solidairement, sur une feuille A3. Elles sont ensuite passées au massicot, qui tranche avec son bruit d'enfer. Je pense au film de Gilles Grangier, Le cave se rebiffe, je revois la salle de l'imprimerie et ses "Aurélia 900", des bécanes comme on n'en fait plus.
"- L'imprimeur : Il y a des numéros de page sur les pages blanches, ça ne se fait pas, on va les enlever.
- Moi : J'ai écrit avec LaTeX, il aurait dû prendre cette norme en compte, logiquement...
- Ah, vous avez utilisé LaTeX ? C'est super, ça fait du beau boulot.
- Oui, ça demande quand même de s'y mettre un peu, il y a des lignes de code et tout.
- C'est le meilleur outil pour composer un texte. Word, c'est vraiment pour les neuneus, ça fait des trucs dégueulasses. [Il calcule les marges] Ah, c'est sûr, ça c'est du LaTeX, y'a aucun problème, c'est nickel. Bon allez, on lance tout ça. "
"Tout ça", c'est six ans de ma vie. Alors je suis contente qu'il s'en occupe ainsi, avec tout son savoir et sa dextérité. C'est tellement rapide que je n'ai pas le temps de prendre de photos. Les feuilles sortent de l'imprimante à vitesse grand V. La couverture et la quatrième de couv' sortent solidairement, sur une feuille A3. Elles sont ensuite passées au massicot, qui tranche avec son bruit d'enfer. Je pense au film de Gilles Grangier, Le cave se rebiffe, je revois la salle de l'imprimerie et ses "Aurélia 900", des bécanes comme on n'en fait plus.
" - L'assistant : Ah, mais je savais pas qu'il y avait des ex-votos dans les églises parisiennes !
- Moi : Des ex-votos en marbre, il y en a dans quasiment toutes les églises, à Paris. A Marseille, par exemple, il y a aussi des tableaux, des bateaux miniatures...
- Oui, je vois lesquels, ils sont suspendus au plafond.
- Moi j'ai plutôt travaillé sur les messages que les gens inscrivent eux-mêmes, sur des statues ou des cahiers, voyez, comme ça. [Je sors une page du cahier photographique pour lui montrer]
- Ah, mais c'est dingue, je savais pas que ça existait !
- Je passerai vous déposer un PDF de ma thèse, après ma soutenance.
- D'accord, je veux bien, ça m'intéresse. "
Et hop, déjà un lecteur.
"- C'est parfait, c'est splendide !
- Vous pouvez répéter ça pour le patron ? Il a besoin qu'on le lui rappelle, parfois...
- C'est vraiment superbe, sans déconner."
"- Désolée, dit-elle, les sacs ne font pas très professionnels.
- Oh, mais ce n'est pas grave, les volumes ont été divinement imprimés et reliés, c'est ce qui compte. Et puis je vais à La Poste, juste en face."
Eh bien avec moi, ils sont servis en compliments. Je sors de la boutique les bras chargés et le cœur léger.
A La Poste, c'est l'aventure. Il faut maintenant se diriger vers plusieurs guichets pour réaliser une seule opération. Je m'installe sur une table haute pour empaqueter mes volumes destinés aux pré-rapporteurs — des enseignants-chercheurs extérieurs à mon école, qui vont lire ma thèse et dire "OK, ça passe en soutenance" ou "Il faut quelques corrections" ou "Ça va pas du tout, il faut tout recommencer." Je feuillette une dernière fois le cahier photographique et là je tombe sur UNE ERREUR. La légende de la photo 5.14 indique "Eglise Notre-Dame-des-Champs, pilier lumineux, Sainte Thérèse de Lisieux et à la Vierge, avril 2005." La Vierge et Sainte Thérèse de Lisieux n'ont rien à faire là !.. Bon, tant pis, ça me donne l'occasion de faire une blague. Sur le petit carton qui accompagne mon envoi, après la formule souhaitant bonne réception, j'indique : "Erratum : Sainte Thérèse de Lisieux et la Vierge font une apparition intempestive à la légende 5.14 du cahier photographique." Il faut que je recommence deux fois l'une de mes cartes, parce que j'ai mis une mauvaise date : "Paris, le 8 octobre 2010"... Oh non, pas un an de plus !
Je récupère mes reçus, avec le numéro de l'envoi qui me permettra de contrôler l'acheminement depuis un site Internet. Le service vendu indique "livré le lendemain matin avant 13 heures".

Vendredi 9 octobre, 13 heures. Je vais sur le site Internet. L'une des enveloppes est arrivée, l'autre est marqué comme "Envoi présenté mais destinataire absent. Pour la suite, se reporter à l'avis de passage". Je clique sur le numéro d'envoi.

J'arrive finalement au bureau adéquat, la secrétaire m'accueille et nous sommes interrompues par un coup de téléphone. Il s'agit d'un problème légal autour d'une mention attribuée au travail d'un candidat. Elle ouvre le tiroir et sort une feuille verte — la feuille du procès-verbal de soutenance — et lit à son interlocuteur le décret relatif à cette question. Elle raccroche et s'excuse : "- Je suis désolée, on est aussi appelés par les enseignants et en ce moment ça n'arrête pas. Et ils ne sont pas toujours très aimables." Il y a ceux qu'on ignore et ceux qu'on engueule. Elle vient de se faire engueuler sous mon nez mais je n'ai rien remarqué, tant elle est restée courtoise dans ses réponses. C'est un métier !
Elle me donne les formulaires d'inscription, m'explique ce que je devrai déposer quand les pré-rapporteurs auront donné leur avis. Ma thèse rejoindra bientôt, après mon départ, l'étagère des volumes en attente de soutenance, assortie d'un Post-it jaune sur lequel sera inscrit mon nom.
Quel bonheur d'en être enfin arrivée là.
Quel bonheur d'en être enfin arrivée là.
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Je remercie Jérôme Denis, de Scriptopolis, pour m'avoir incité à réaliser cette petite ethnographie de mon dépôt de thèse. Sans cette impulsion, avec toute la fatigue accumulée au fil de ces dernières semaines, je n'en aurais pas eu le courage.
Commentaires
Une phrase (entre beaucoup d'autres) restera dans mon esprit par sa belle image d'humanité: "Zut, je ne pourrai pas rajouter le monsieur aux essuie-mains dans ma page de remerciements, elle est déjà imprimée."
On attend la suite, évidemment!
Bravo encore.
En plus, c'est adorable de faire un reportage, ou une petite enquête ethnographique, sur le jour de la remise. Avec un mot gentil pour tout le monde. Ça m'amuse beaucoup de t'imaginer prendre les photos devant l'imprimeur, le postier, la secrétaire de la formation doctorale.
Une bonne nouvelle, enfin, pour nous lecteurs de Takuhertz : te voilà de retour ! Prends-le temps de te reposer quand même !
@Epamin' : La suite... quand j'aurais repris quelques forces ! J'ai engrangé pas mal d'idées et d'images au cours de ce mois et demi sans Takuhertz, ce type d'écriture m'a manqué !
@Fr. : Cool, une collègue de LaTeX ! Je suis restée très basique sur Bibtex, j'ai un fichier .bib dans lequel j'ai toutes mes références (créé avec Refworks puis tout simplement avec une option dans Google Scholar — mais il faut faire des vérifications car Google Scholar est très fantaisiste). Comme .bst j'ai choisi "Authordate1" et j'en suis très contente, sauf que les thèses apparaissent en "PhD thesis"... Bref, je suis d'avis qu'on devrait se rencontrer autour d'un thé pour échanger sur tout ça (je suis friande de connaître Bibdesk). Si ça te dit, envoie-moi tes coordonnées sur takuhertz@gmail.com
@Jérôme : Ce billet, c'est un peu grâce à toi ! (Et si je me suis mise à écrire davantage sur Takuhertz que les phrases sibyllines dont j'avais l'habitude, c'est grâce à Scriptopolis !)
@Arf : Du stress ? Où ça du stress ? Mais, mais... c'est quoi ces boutons dans mon cou ?! Nan, mais je commence à me détendre un peu. Et ça fait du bien...
@Anthony : Woaow, j'en reste sans voix !.. Et effectivement, cette thèse est "interminablement perfectible". J'essaye de ne pas trop ouvrir le volume, ces jours-ci.
Bonne semaine à tous...
Je mesure aussi le temps qui passe... je n'avais que word (88?), une imprimante basique, mais quand même les photocopies couleurs, du pur artisanat!
Par contre l'envoi aux rapporteurs était fait directement par la fac!
La reprise du boulot (alimentaire) est un peu dure à enchainer après ça, mais je tiens le choc...
nolvadex