Plongée sous-marine
Paris, vers la fin du mois d'octobre 2009. Un étrange tiroir dans une bibliothèque. Sur l'étiquette : « Requins / Compte pêcheurs ». De quoi s'agit-il ? Le nom de cette boîte ne donne pas tellement envie de l'ouvrir. Et si une bête surgissait, se déployant comme une bouée gonflable, toutes dents dehors ?
Le morceau de scotch sur la face avant de l'objet prouve d'ailleurs qu'un squale a déjà manifesté sa désapprobation — on a voulu le sortir d'une sieste, il a riposté. Pour vider sa querelle, il a mangé tous les livres de l'étagère. Leroi-Gourhan avait un goût de limaille de fer, André-Georges Haudricourt sentait l'eucalyptus de Sibérie et la documentaliste venue arrêter son dîner revanchard, la myrtille. Des saveurs bien exotiques, pour un requin pèlerin originaire des Bahamas.
Cet événement a marqué la fin d'une présence passive dans ce laboratoire d'anthropologie des techniques et des milieux maritimes. Révolté d'être uniquement considéré comme un objet de recherche, il a rompu ses chaînes et travaille maintenant en sous-marin sur ses propres données. Dissimulé dans sa boîte, ne sortant que le soir une fois les lieux vidés de leurs occupants officiels, il compulse ses notes, dresse des tableaux et des graphes. Il procède à une analyse comparative des mode de chasse à l'homme, dans toutes les eaux du globe, territoriales ou non. Il a privilégié un groupe social et professionnel qu'il affectionne particulièrement : les morutiers. Et pour bien faire comprendre aux chercheurs du laboratoire qu'il se considérait comme un membre éminent de leur société, il a pris un stylo feutre entre ses nageoires pectorales et a inscrit, près du nom de son groupe paraphylétique d'espèce : « compte pêcheurs ».
Je ne me risquerai pas à le déranger pour en savoir plus : je l'entends qui grommelle dans son carton et je ne veux pas y laisser un bras.
Le morceau de scotch sur la face avant de l'objet prouve d'ailleurs qu'un squale a déjà manifesté sa désapprobation — on a voulu le sortir d'une sieste, il a riposté. Pour vider sa querelle, il a mangé tous les livres de l'étagère. Leroi-Gourhan avait un goût de limaille de fer, André-Georges Haudricourt sentait l'eucalyptus de Sibérie et la documentaliste venue arrêter son dîner revanchard, la myrtille. Des saveurs bien exotiques, pour un requin pèlerin originaire des Bahamas.
Cet événement a marqué la fin d'une présence passive dans ce laboratoire d'anthropologie des techniques et des milieux maritimes. Révolté d'être uniquement considéré comme un objet de recherche, il a rompu ses chaînes et travaille maintenant en sous-marin sur ses propres données. Dissimulé dans sa boîte, ne sortant que le soir une fois les lieux vidés de leurs occupants officiels, il compulse ses notes, dresse des tableaux et des graphes. Il procède à une analyse comparative des mode de chasse à l'homme, dans toutes les eaux du globe, territoriales ou non. Il a privilégié un groupe social et professionnel qu'il affectionne particulièrement : les morutiers. Et pour bien faire comprendre aux chercheurs du laboratoire qu'il se considérait comme un membre éminent de leur société, il a pris un stylo feutre entre ses nageoires pectorales et a inscrit, près du nom de son groupe paraphylétique d'espèce : « compte pêcheurs ».
Je ne me risquerai pas à le déranger pour en savoir plus : je l'entends qui grommelle dans son carton et je ne veux pas y laisser un bras.
Commentaires
ses objets vivants que l'on croit simplement posés sur une étagère avec une étiquette qui, non!, n'est une simple catalogation!!
Pour ménager les susceptibilités marines et subaquatiques, on pourrait peut-être choisir un coquillage!
Excellent billet!
André-Georges Haudricourt, doux nom à mes oreilles (d'une certaine sorte de douceur, disons).
J'ai de bons souvenirs de bibliothèques plus ou moins spécifiques, plus ou moins isolées, dont on n'a que fréquentation ponctuelle, pour un élément précis, parfois avec une autorisation ad hoc pour y pénétrer, et qu'on découvre là comme un nouveau petit monde qui vous était inconnu jusqu'alors...
@Sylvie : Eh oui, les objets sont bien vivants !
@Epamin' : La BCD... ça me rappelle mon école primaire, dans un petit village du Limousin (comme Pierre Michon !!). Je disais "l'ABCD" (ce qui revient oralement au même).
@Anthony : Si tu souhaites en savoir davantage sur Haudricourt, je te conseille les travaux récents d'un collègue, Jean-François Bert
http://www.iiac.cnrs.fr/ecriture/spip.php?article114
Dans le cas de cette bibliothèque, j'allais simplement voir une amie...
PS : le mot de vérification pour poster ce commentaire est "Houra", c'est chouette !